Dans le cadre du Festival Radio France Montpellier Languedoc-Roussillon, la Sacem propose, pour la septième année, une sélection de films documentaires sur la musique, projetés chaque jour à 15h, Salle Einstein, au Corum. L'entrée est libre.

Photo Bruno Pothet © DR

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CYCLE QUESTIONS D'ORCHESTRE

Film du 16 juillet 

THE REICHORCHESTER
Un film d'Enrique Sanchez Lansch 

Présentation par Olivier Bernard

Wilhelm Furtwängler dirigeant le La Philharmonie de Berlin à la fin du Second conflit mondial © DR
C'est l’ouverture récente d’archives concernant la période 1933-1945 qui a permis d’étudier une époque clé, tragique et brillante, de la vie de l’un des orchestres allemands réputés dans le monde entier, celle de la domination national-socialiste.
Un jeune historien et musicologue canadien, Misha Aster, a publié en 2007 la première étude de fond consacrée à la phalange berlinoise, tandis qu’en 2009 paraissait également un ouvrage de l’historienne française Audrey Roncigli, Le cas Furtwängler, centré sur la figure du chef d’orchestre titulaire de la formation dans toute la période, ouvrage qui a bénéficié des avancées d’une historiographie déjà abondante sur le musicien et de l’accès à des sources nouvelles.
Tous les thèmes traités par les deux ouvrages (mise au pas de l’Orchestre par les nazis, relations complexes entre son chef titulaire et le ministre Goebbels, programmation musicale fondée sur des critères raciaux, tournées dans les pays alliés du Reich ou occupés par la Wehrmacht, période de dénazification après le fin de la guerre et nouveau positionnement de l’Orchestre dans une Allemagne revenue à la démocratie) sont également présents dans le film réalisé par le cinéaste germano-espagnol Enrique Sánchez Lansch en 2007, avec le concours de Misha Aster, crédité au générique comme assistant du réalisateur.
L’atout principal du film réside dans la recherche minutieuse de témoignages, tels ceux des deux seuls musiciens survivants au moment du tournage, en 2004, ceux d’enfants des membres de l’Orchestre et, notamment, l’unique descendant des quatre musiciens juifs exclus en 1934-35 et contraints à l’exil. Les documents et témoignages recueillis pour le film permettent aujourd’hui de mieux comprendre quels étaient les mécanismes mis en oeuvre par le pouvoir nazi pour exploiter à son bénéfice et instrumentaliser un outil culturel de prestige, en combinant au sein d’une collectivité humaine si particulière – l’orchestre – la menace, l’intimidation et une surveillance de tous les instants, assorties de nombreux avantages matériels et statutaires tels que l’exemption,de conscription ou l’accès à des instruments de haute valeur.
Les situations décrites ici permettent de mieux comprendre d’autres cas, certes différents, mais comparables, où d’autres pouvoirs de type totalitaire ont utilisé des moyens de coercition et d’arbitraire pour contrôler la vie musicale d’un pays et de ses artistes en profitant avec cynisme de leur renommée internationale et de leur prestige.



Entretien d'Enrique sanchez Lansch avec la Gazette de Berlin à propos du film


http://www.lagazettedeberlin.de/4257.html
 Votre film s´appelle « L´orchestre du Reich », du fait que l´orchestre Philarmonique de Berlin  a été nationalisé en 1934. Pourtant, dans le film, les témoins que vous avez pu trouver répètent à plusieurs reprises que leur orchestre n´était pas un orchestre nazi. Dans quelle mesure est-il devenu un instrument du pouvoir ?
 


L´orchestre a été, à partir de 1882 et pendant 50 ans, une entité très autonome, mais, au début des annés 30, il a dû faire face à de graves problèmes financiers. Il a donc essayé d´obtenir une aide du Reich, et en 1933 il a effectivement été instrumentalisé par le ministère de la propagande. Pendant la guerre, il n´a pratiquement voyagé qu’en Allemagne et dans les territoires occupés par les troupes allemandes. Il a joué par exemple huit fois pour le concert annuel célébrant l´anniversaire d’Hitler. Pas mal de ces événements ont été filmés et diffusés dans tout le Reich.


Ce qu´on remarque aussi dans le film à travers le témoignage des survivants, ou bien celui de leurs enfants, c´est que beaucoup étaient soit naïfs, soit apolitiques. Ils ont continué à faire de la musique et on a l´impression qu´il faut beaucoup les travailler au corps pour qu´ils expriment un certain nombre de regrets sur cette période.
 
Tout d´abord, être membre de l´orchestre philharmonique de Berlin nécessite une telle perfection technique que les musiciens doivent se concentrer exclusivement sur la musique. Ce qui exige, d´une certaine facon, de ne pas se préoccuper de tout ce qui touche à la politique ou à d´autres aspects de la vie. D´un autre côté, même les gens qui n´avaient aucune sympathie pour les nazis pensaient qu´en consacrant leur vie exclusivement à la musique, ils prenaient une position antinazie, et ils n´ont pas vu ou pas voulu voir qu´ils étaient réellement devenus un instrument de propagande.


Est-ce qu´ils se rendent compte qu´ils se sont peut-être trompés eux-mêmes, en ayant l´impression d´être dans un exil culturel intérieur, alors qu´ils étaient malgré tout, fortement instrumentalisés ?
 
Ils ont fait preuve de naïveté, spécialement au début de l´époque nazie. Ça change pendant et à la fin de la guerre, quand ils sont confrontés aux horreurs de la guerre. Mais, début 45, il n´y a que le Philharmonique de Berlin qui joue toujours et qui donne des concerts. Cela explique peut-être qu´ils n´aient pas trop réfléchi à ce qui s´était passé, pendant les premières décennies qui ont suivi la fin de la guerre. Il était alors important de penser au futur, et non au passé. Mais dans ces 10, 20 dernières années, on a commencé à réfléchir là-dessus, et une certaine honte a commencé à se faire sentir.


Il a fallu attendre plus de 60 ans pour que l´orchestre philarmonique, cette année à l´occasion de son 125 ème anniversaire, décide de s´intéresser particulièrement à ce qu´il s´est passé entre 1933 et 1945. Pourquoi ?
 
A mon avis on s´est trop concentré, dans l´orchestre comme à l´extérieur, sur la responsabilité du chef d´orchestre, si bien que la responsabilité des individus qui composaient l´orchestre a quasiment été occultée.


Beaucoup de membres actuels du Philharmonique ont assisté à la première de votre documentaire mercredi soir. Que pensent-ils du film que vous avez fait et du rôle qu´ont joué leurs prédécesseurs sous le troisième Reich ?
 
Pas mal de membres ignoraient le rôle qu´avait tenu l´orchestre dans le passé. Pour eux ce sont des informations complètement nouvelles. On se rend compte que ces musiciens ont une conscience complètement différente de celle de leurs prédécesseurs, si bien que l´on ne pourrait pas imaginer que la chose puisse avoir lieu à nouveau aujourd´hui. 
Propos recueillis par Pascal Thibaut

L'intervenant débat
PASCAL HUYNH


Présentation par Olivier Bernard

Musicologue et critique musical, Pascal Huynh, spécialiste de la musique de l'entre-deux-guerres, publie une foisonnante étude, La musique sous la République de Weimar qui devrait être suivi par un ouvrage sur la musique sous le IIIème Reich.
La toile de fond de ce livre est surtout le Berlin des années 20 où la société est en pleine mutation, après la cuisante défaite de l'Allemagne en 1918 et l'effondrement de l'Empire. L'auteur ne néglige pas pour autant la situation foyers musicaux en province, dans les anciennes capitales des royaumes de l'Empire. Les structures musicales en fait se réorganisent. On découvre que, comme les autres arts, la musique est enjeu idéologique dans une période de crise économique qui s'accompagne d'audaces créatives, comme si elle permettait d'échapper aux préoccupations du moment. Le foisonnement est réél et les frontières entre les genres disparaissent, le cabaret envahit l'opéra. L'expressionnisme est repoussé par des manifestations dadaïstes et anti-bourgeoises. L'Allemagne connaissant de 1924 à 1929 une période de stabilisation, la vie musicale est bouillonnante, avec l'émergence de personnalités fortes, notamment dans le domaine de l'interprétation comme les chefs Furwangler, Walter, Klemperer, Kleiber, le pianiste Schnabel, certains d'entre eux étant appelés à des postes de responsabilités.Pascal Huynh analyse les nouvelles tendances qui voient le jour, la musique communautaire, le fonctionnalisme, la "nouvelle objectivité" vers laquelle tend un Hindemith, et l'application de ces théories aux musiques pour la radio et le cinéma muet. La crise économique de 1929 va remettre tout en cause et les novateurs, bien que soutenus par la social-démocratie, doivent affronter le courant artistique conservateur inpiré par Hans Pfitzner et le parti National-Socialiste qui les assimile aux Bolchéviques. Arrivés au pouvoir, les nazis contraignent les musiciens d'origine juive à l'exil, Schoenberg, Schreker, Eisler, Weill, Krenek.

Photos Bruno Pothet © DR

Pour aller plus loin avec le film


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