Dans le cadre du Festival Radio France Montpellier Languedoc-Roussillon, la Sacem propose, pour la septième année, une sélection de films documentaires sur la musique, projetés chaque jour à 15h, Salle Einstein, au Corum. L'entrée est libre.

Photo Bruno Pothet © DR

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CYCLE LE VIOLON SELON BRUNO MONSAINGEON

Film du 20 juillet
DAVID OÏSTRAKH, ARTISTE DU PEUPLE ?
Un film de Bruno Monsaingeon
David Fiodorovitch Oïstrakh (en russe : Давид Фёдорович Ойстрах), né le 30 septembre 1908 à Odessa et mort le 24 octobre 1974 à Amsterdam, est l'un des violonistes les plus réputés du XXe siècle. Violoniste et altiste, il a profondément influencé la technique de l'instrument, par sa maîtrise technique, sa déconcertante décontraction, sa virtuosité. Musicien, il a durablement marqué l'histoire de la musique au travers de la collaboration qu'il entretint avec de grands compositeurs qui lui dédiaient leurs œuvres. Son fils et disciple Igor Oïstrakh est également un violoniste réputé.
Premières années à Odessa
David Oistrakh naît à Odessa, alors ville russe. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, une grande migration venant de Pologne en avait fait la plus juive des grandes villes de l’Empire russe. Dans les quartiers sud de cette ville très cosmopolite, Fiodor Davidovich Oistrakh et Isabella Stepanovna Kolker, eux-mêmes d’origine juive, vivent dans un petit appartement. Fiodor est un modeste officier, qui doit vendre des graines de tournesol pour améliorer ses revenus. Il joue bien du violon, mais aussi du cor et d’autres instruments à vent. Isabella est chanteuse de choeurs d’opéra. Très tôt, Isabella emmène son fils David aux répétitions.
Odessa était alors un centre culturel et scientifique des plus vivants. Les cafés et les restaurants recevaient des violonistes; le Square Richelieu, des ensembles de cuivres et des orchestres napolitains; les personnalités des quatuors à cordes et autres ensembles de chambre; le Théâtre, Glazunov, Chaliapine, Sobinof, Caruso, Anna Pavlova ou Isadora Duncan.
Le professeur Stoliarsky
Dans cette atmosphère prometteuse, et sur sa demande, David reçoit son premier violon à cinq ans, en remplacement de son violon jouet dont il était inséparable et avec lequel il aimait à se montrer. David est motivé, certes, mais sa chance sera son premier professeur, Piotr Solomonovich Stoliarsky. La pédagogie de Stoliarsky était fondée sur le jeu, et sur une connaissance des talents et du caractère de chacun de ses élèves. À la fois très présent, mais partisan de l’autonomie, il ne jouait que rarement, préférant laisser ses élèves appréhender et résoudre les difficultés par leurs propres moyens. Ils étudiaient le violon et l’alto, jouaient dans de petits ensembles à l’unisson ou en orchestre, et donnaient souvent des auditions et des concerts afin de s’habituer au trac et au public, et de financer dans le même temps cette école si particulière. David y cotoie un autre futur violoniste virtuose,
Nathan Milstein, de cinq ans son aîné, avec lequel il joue en quatuor, Nathan se chargeant de la partie de Violoncelle !
Premier concert en 1923
La Première Guerre Mondiale et la Révolution d’Octobre ne ralentissent que peu les progrès de David. Sa famille, comme tant d’autres, sombre dans la pauvreté, mais Stoliarsky parvient à ménager de bonnes conditions de travail à ses élèves. Et après des années difficiles, le pouvoir soviétique ramène un début d’ordre en 1920.
Son premier concert eut lieu en 1923. Au programme figurait le Concerto en La Mineur de J.S. Bach. Ce concerto, ainsi que la sonate le Trille du diable de Tartini, les Airs Bohémiens de Sarasate, figurait sur les premières affiches à porter le nom de David Oistrakh, l’année suivante. Sa première tournée se déroula en Ukraine en 1925, avec l’orchestre du Conservatoire d’Odessa. David Fiodorovich quitta le conservatoire en 1926 ; son programme de fin d’année révèle déjà le grand musicien : à côté d’oeuvres plus courantes, la chacone de J.S. Bach et la sonate de Tartini, David fait figurer la sonate pour alto de A. Rubinstein et le premier concerto de Prokofiev. Cette oeuvre, très difficile et très novatrice, était une prise de risque énorme, d’autant qu’elle venait d’être écrite (1917) et créée (18 octobre 1923, à l’Opéra de Paris par Marcel Darrieux) et dont la première russe ne datait que du 21 octobre 1923 à Moscou (Nathan Milstein, Vladimir Horovitz au piano).
Quelques vidéos sur Oistrakh

Bande-annonce du film



Clair de lune. Enregistré à Paris, 1962, avec Frida Bauer aun piano.



Concerto pour violon de Tchaikovsky Concerto in ré Majeur, Op. 35: 3ème Mouvement.





BRUNO MONSAINGEON

Depuis une vingtaine d’années, Bruno Monsaingeon, violoniste, consacre une grande partie de son temps à la réalisation de films musicaux tout en continuant à donner des concerts.
Il a réalisé des films sur les musiciens majeurs de notre époque : Nadia Boulanger, Yehudi Menuhin, Glenn Gould, Viktoria Postnikova, Guennadi Rojdestvensky, Murray Perahia, Michael Tilson Thomas, Zoltan Kocsis, Friederich Gulda, Paul Tortelier, Julius Katchen, parmi beaucoup d'autres. Un long travail mené en association avec Yehudi Menuhin et avec Glenn Gould a abouti à la production de nombreux films sur des thèmes variés avec ces deux musiciens. Parmi eux, "Menuhin in China" et "Glenn Gould - Les Variations Goldberg " sont devenus légendaires.
Depuis 1987, Bruno Monsaingeon a notamment réalisé : "Retour aux Sources," film en trois parties consacré au retour de Yehudi Menuhin en Union Soviétique ; "Le Trio de Tchaïkovsky" interprété par Viktoria Postnikova, Yehudi Menuhin et Marc Coppey ; "Portrait d’un joueur, Andreï Chesnokov" ; Barbara Hendricks en récital à Leningrad, "Les 24 Caprices de Paganini "interprétés par Alexander Markov ; "Orgues, Toccates et Fantaisies - Marie-Claire Alain joue Bach "; "Naissance d’un chanteur, Nicolas Rivenq."
En 1993, Bruno Monsaingeon a consacré deux programmes "L'Inconnu de Santa Barbara” et "Gilles Apap and Friends", au jeune violoniste français, Gilles Apap. Le premier est un portrait documentaire montrant le talent exceptionnel et les activités musicales du jeune musicien qui vit à Santa Barbara en Californie; tandis que le deuxième est un concert au cours duquel il interprète des oeuvres majeures de musique classique, irlandaise, tzigane, jazz, bluegrass...
En 1999, il réalise "Gilles Apap joue le 3è Concerto de Mozart", documentaire basé sur l'interprétation très personnelle que fait le violoniste du 3è concerto de Mozart : il intègre dans la cadence du final des variations sur des airs de musique populaire (jazz, blues, country music, musique irlandaise, tsigane, indienne etc...).


© Alain Le Bacquer
Grand entretien avec Bruno Monsaineon sur Menuhin, Oïstrakh
et quelques autres… 
par Olivier Bernard

Partie 1/5



Vos premiers films, en 1972, traitaient du violon et de Menuhin, déjà…
En fait, j’étais déjà à l’époque extrêmement lié à Menuhin. Mais, ce qui est curieux, c’est que l’on me connaît davantage pour des films que j’ai signés sur de grands pianistes, comme Gould ou Richter. Les films que j’ai faits sur le violon ont été moins montrés. Le violon est mon instrument et je l’adore. Cinématographiquement, il présente d’énormes avantages, à condition de savoir le filmer. L’un des gros problèmes du film musical est qu’il faut maîtriser une compétence très particulière qui va permettre au public non spécialiste de trouver une source d’information et d’émotion. Pour y parvenir, il faut que cela soit filmé de l’intérieur. Or je connais bien le répertoire, l’instrument, et je suis capable d’anticiper le type de gestes, d’attitudes et de mouvements que les grands violonistes font. Ainsi, filmer le violon est quasiment naturel pour moi. Mais cela n’est pas lié à un amour exclusif.

Un fétichisme du violon…
Ni du violon, ni d’aucun autre instrument. Il se trouve aussi qu’il y a eu de très grands violonistes, qui m’ont été proches et dont j’ai pu, je l’espère, capter ce qui est le plus important : leur son. Lorsqu’on voit une belle photographie d’un grand violoniste, on peut être capable d’entendre le son qu’il est en train d’émettre. Si je vois Menuhin, de belles photos de Menuhin, et il y en a de très belles, je vois dans quelle direction l’archet est orienté, quel type de pression il donne sur la corde, car finalement l’archet n’est que le prolongement du corps. Le bras et l’ensemble du corps fabriquent le son. 
Cela a une traduction cinématographique, qui est potentiellement extraordinaire. Je crois avoir réussi grâce à la relation de confiance que j’avais avec Menuhin, mais aussi avec de très jeunes violonistes, à capter ces moments étonnants dans lesquels on voit littéralement le son.

Le film sur le retour de Menuhin en Russie, était-ce une sorte de reportage?
Non, le mot ne me convient pas du tout. En reportage, vous filmez une réalité qui vous échappe. Or, les conditions de ce voyage de Menuhin en Russie, en réalité c’est moi qui les ai en grande partie créées, y compris les programmes des concerts, les musiciens rencontrés, les itinéraires… Mais une fois ce cadre tracé, c’est effectivement la réalité qu’on essaye de filmer. Je suis peut être trop sensible à ce problème de vocabulaire, de sémantique. Par exemple, le terme d’émission me hérisse littéralement. Pour moi, l’émission de télévision est liée à une idée de la consommation immédiate et de la disparition simultanée. Cela n’a rien à voir avec l’oeuvre.

Le mot est lié au mécanisme technique de la diffusion, il ne désigne pas l’oeuvre en elle-même…
Et c’est pour cela que j’ai beaucoup de mal à définir mon travail. «Film» renvoie à un certain support, ce qui n’est pas le cas, puisqu’il s’agit de vidéo. «DVD», c’est plutôt commercial … «Documentaire », finalement, n’est pas si mal. Mais le problème du documentaire est qu’il est de plus en plus formaté, par sa destination immédiate, la télévision, qui est aussi le financeur principal des oeuvres. Cette situation génère une ambigüité terrible, car ce qui me préoccupe avant tout, c’est de faire des films qui ont un fort contenu expressif et pour lesquels il y a une sorte de nécessité structurelle, qu’ils aient telle ou telle longueur, qu’ils développent tel ou tel mode d’expression. Préoccupations contradictoires avec les formatages inhérents à l’économie télévisuelle…

Dans ce cadre et ses contraintes, vous avez réalisé de nombreux films avec Yehudi Menuhin ; vous avez aussi publié des livres, traduit et présenté ses écrits. On peut donc dire que Menuhin est pour vous une grande histoire, des années 1970 jusqu’à sa disparition, en 1999.
Pour moi, cela commence bien avant, à mon enfance. Yehudi est sans doute le personnage dont j’étais le plus proche affectivement. Et un personnage dont la disparition m’a vraiment affecté, comme si j’avais eu besoin de le voir de manière répétée pour retrouver une certaine sérénité. La mort de Gould n’était pas une mort. Gould survit, parce que c’est un personnage …

Un personnage presque abstrait…
Oui, un personnage qui a une espèce d’existence spirituelle dépourvue de tout rapport à une réalité physique. Disons que la rencontre physique de Gould n’était pas quelque chose d’essentiel. Avec Menuhin, il y avait une aura physique qui était très importante. Je l’ai entendu pour la première fois lorsque j’avais quatre ans, un disque 78 tours familial, donc sans sa présence physique. À une époque où je n’avais absolument aucune idée ni de son nom, ni de quoi que ce soit de ce genre. Et cela a pourtant déterminé une grande partie de ma vocation pour la musique et pour le violon en particulier. En réalité, il y avait deux personnages. Menuhin, jouant une danse hongroise de Brahms qui me hérissait le poil, dans la mesure où l’on peut avoir du poil à quatre ans… Et puis, David Oïstrakh, pour moi, l’autre contemporain capital…

Il se trouve que vous avez fait sur chacun d’eux des films très importants.
Disons qu’il y a eu la construction d’une sorte de monument autour des deux…
 



Dialogue avec le public 




Photos Bruno Pothet © DR