Dans le cadre du Festival Radio France Montpellier Languedoc-Roussillon, la Sacem propose, pour la septième année, une sélection de films documentaires sur la musique, projetés chaque jour à 15h, Salle Einstein, au Corum. L'entrée est libre.

Photo Bruno Pothet © DR

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CYCLE LE VIOLON SELON BRUNO MONSAINGEON


Film du mercredi 21 juillet

VALERY SOKOLOV, UN VIOLON DANS L'ÂME
Un film de Bruno Monsaingeon

 
Entretien avec Valery Sokolov paru sur Altamusica


Comment vous êtes-vous trouvé tout enfant lancé dans l'étude d'un instrument aussi difficile que le violon ?
Parce que ma mère m'a inscrit à l'école de musique pour que j'apprenne ce qui est beau. Je me suis retrouvé vingt et unième sur la liste des postulants au violon et j'ai été pris. Tout a commencé comme ça.
Dans le film de Bruno Monsaingeon, on vous voit encore enfant jouer déjà des oeuvres très difficiles.
Je ne jouais alors que des pièces normales pour un garçon de 11 ans qui se destine à l'instrument dans les années suivantes. En fait, on parvient à jouer ces pièces car on est totalement concentré sur le travail, et c'est valable pour toutes les disciplines. Si vous ne faites que cela, si vous travaillez sans penser à quoi que ce soit d'autre, sans rien qui vous distrait, vous arrivez forcément très jeune à un haut degré d'accomplissement. Pas d'école, pas de distractions, juste le violon ! Cela représente quand même l'addition de qualités exceptionnelles chez un enfant : habileté manuelle, oreille musicale parfaite et volonté. Derrière chacune de ces qualités, il y avait quelqu'un. La volonté venait de ma mère, l'habileté manuelle venait de mon premier professeur, et l'oreille est un don de la nature. Moi, je n'avais que la responsabilité du travail.
Quel souvenir gardez-vous de ces années d'enfance très particulières ?
Celui d'une grande concentration sur un travail qui n'avait que lui-même comme but, sans esprit de compétitivité, un travail entièrement personnel, tourné vers moi-même, sans rien pour en mesurer les résultats de manière tangible. Ce n'est pas du tout le souvenir d'une période heureuse, mais je crois que c'est pareil pour toute période d'apprentissage tant qu'on n'a pas la possibilité d'évaluer les résultats de son travail.
Quand avez-vous su que vous vous ne feriez rien d'autre que jouer du violon ?
Je ne sais toujours pas si je passerai toute ma vie à jouer du violon, car tant de choses peuvent arriver. En fait, quand vous vous voyez jouant du violon aussi loin que remontent vos souvenirs, vous n'envisagez guère d'autre avenir pour vous. Cependant, c'est quand j'étais à l'École Yehudi Menuhin en Angleterre où j'ai commencé à apprendre à vraiment bien jouer que j'ai compris que ce serait très probablement ma destinée.
Comment était l'enseignement à l'École Yehudi Menuhin ?
Très spectaculaire et génial à bien des égards. Très spécial aussi, avec l'omniprésence de toute la famille Menuhin. On faisait beaucoup de musique de chambre, toutes sortes de musiques. C'était une expérience très enrichissante.
Quand avez-vous eu le sentiment que votre carrière avait démarré ?
Je ne suis pas du tout sûr qu'elle ait démarré ! Je ne parle pas encore de mon travail en termes de carrière. Une carrière est quelque chose qui évolue très lentement et exige beaucoup de soin et d'attention. Elle commence quand vous êtes connu. Je ne le suis pas encore, juste par quelques initiés. C'est un monde à part, où je ne suis pas encore entré, auquel je ne pense pas beaucoup. Je laisse le soin à d'autres d'y penser pour moi.
Est-ce que tout ce que va comporte désormais votre vie, les voyages, les concerts, les interviews, est pour vous un plaisir, ou juste des obligations inévitables ?
Donner des interviews comme ici, au Café de la Paix, en sachant que Diaghilev a fréquenté cet endroit, s'est peut-être assis sur le siège juste derrière nous, cela me donne l'impression de prendre ma propre place, même modeste, dans toute une histoire musicale, surtout à Paris où tous les grands musiciens sont passés ou ont vécu. J'aimerais bien y avoir un jour un petit endroit à moi, à mon tour.
Pour moi, les concerts, c'est une accumulation de choses : du travail, de l'inspiration et éventuellement un résultat, encore qu'il ne me satisfasse pas toujours. C'est chaque fois différent. Je suis plus inspiré si c'est un lieu exceptionnel, une circonstance particulière. Je suis heureux d'aller en scène, c'est une sorte de fête aux aspects multiples, mais quant à savoir ce que suis capable de donner, c'est aux autres, à vous, d'en juger, pas à moi.


Au stade de la carrière où vous vous trouvez, comment bâtissez vous votre répertoire ? Avez-vous des passions pour certains compositeurs, des domaines que vous n'osez encore aborder ?
Le XXe siècle est primordial pour moi. J'entends par là ses classiques. Pour un violoniste de 20 ans, son langage musical est immédiatement perceptible. C'est celui de notre époque, et c'est à nous de le défendre. Cependant, j'aime la musique de toutes les époques et aucun compositeur de me fait peur. De même, je ne peux pas dire que je préfère les oeuvres techniquement difficiles aux autres. C'est chaque fois un défi différent, une rencontre particulière.
Y a-t-il des violonistes auxquels vous aimeriez vous identifier ?
Plusieurs. Le premier est certainement Yehudi Menuhin, pour l'ensemble de sa personnalité, la manière dont il a mené sa vie. J'aime aussi beaucoup Isaac Stern, pour sa capacité à jouer et à penser si bien.
Pensez-vous qu'il existe toujours une école de violon spécifiquement russe ?
Je ne le crois pas. La plupart des gens de ma génération ont travaillé et travaillent encore à l'étranger. Il y a toujours de très grands musiciens russes, mais ils ont très rarement une formation exclusivement nationale. Avant, il était impossible de sortir du pays et d'aller travailler hors des frontières. Aujourd'hui, plus personne ne souhaite vraiment rester apprendre ni même vivre en Russie. C'est une réaction normale après tant d'années d'enfermement.
Au stade où vous en êtes, qu'y a-t-il de plus facile et de plus difficile ?
Quand on commence à voyager, à donner des concerts, le plus difficile est de trouver son chemin et de continuer à beaucoup travailler sereinement. En contrepartie, c'est formidable de découvrir tant de pays, de villes, de salles de concerts. Je tiens absolument à visiter les villes où je me trouve. Je ne veux pas n'en connaître que le trajet entre l'hôtel et le théâtre. Découvrir de nouveaux lieux me procure des sensations très enrichissantes. D'ailleurs, j'aime tout ce qui est beau.
moi.Propos recueillis par Gérard Manonni pour Altamusica
Retrouvez l'intégralité de l'entretien en cliquant ici
Pour aller plus loin avec Valery Sokolov


Voir le film sur Internet avec Medici TV


La bande annonce du film disponible sur Youtube





Beethoven violin sonata No. 7 - Valeriy Sokolov, David Fray
envoyé par medicitv. - Regardez plus de clips, en HD !







Voir la vidéo sur Arte Live Web de Valery Sokolov et David Fray au festival de Verbier



Dialogue avec le public 



Photos Bruno Pothet © DR









© Alain Le Bacquer
Grand entretien avec Bruno Monsaineon sur Menuhin, Oïstrakh
et quelques autres… 
par Olivier Bernard

Partie 2/5



Mais je pensais aussi à ce problème à travers la judéité d’Oïstrakh. Car vous dites à un moment dans le film que c’est sans doute un élément expliquant son mystère, son rapport complexe à l’appareil d’État.
Le simple fait d’avoir écrit « Juif » sur son passeport signifiait, compte tenu de ce qu’il s’était passé, qu’il y avait donc un peuple juif, identifié par sa judéité. Et, il n’y a pas de doute que l’antisémitisme d’État a été quelque chose d’extraordinairement fort sous Staline, avec le pseudo complot des Blouses blanches et ces metteurs en scène, écrivains, comédiens, très nombreux,
qui ont été liquidés. Le malheureux Oïstrakh a dû en tant qu’artiste d’origine juive signer des pétitions contre Israël. On ne pouvait pas échapper à ça, sauf à être un dissident, et donc disparaître complètement de la scène. Il appartient à une génération qui connut les pires purges staliniennes, il a vécu dans la terreur. Et la musique était d’une certaine manière un refuge et c’est pour cela aussi qu’il est un grand artiste. C’était un personnage absolument exquis, avec cette culture et cette ouverture d’esprit immenses. Et en même temps, il était absolument impossible d’aborder avec lui le moindre sujet qui pouvait avoir quelque résonnance politique que ce soit. Le prix à payer était un silence total, y compris pour les événements dont il avait le plus souffert.
Dans le film, du fait que j’ai eu accès à un certain nombre de documents, y compris de nature privée comme la correspondance qu’il avait échangée avec sa femme et son fils Igor, j’ai pu montrer à quel point ce régime impliquait le double jeu, un discours absurde tenu par le régime et, en même temps, des éléments de vérité au sens où tous ces artistes faisaient partie du système de la propagande ; la population soviétique entière les suivait, comme pour une compétition sportive. Ce phénomène a totalement disparu en Russie aujourd’hui et n’a jamais existé dans les pays démocratiques où le sort des musiciens n’est pas un enjeu premier, ni social, ni politique, ni culturel.
Dans ce film, il y a tous ces éléments en même temps. Je voulais disposer d’une grande quantité d’archives musicales. Car David Oïstrakh est bien le violoniste suprême. Et l’on devait pouvoir en capter l’essence et la restituer. 

Mais ce n'est jamais didactique ou "pédagogique"...
Dans mes films, on ne surligne jamais ce qui se passe, on ne vous dit pas ce que vous voyez et ce que vous devez en penser. J’ai voulu donner la parole à Oïstrakh à partir de documents authentiques, de telle manière que le fil conducteur de ce film soit lui-même.
Un tombeau même pour Menuhin…
Oui, un tombeau. Le Violon du siècle, c’est bien cela d’une certaine façon. Avec Yehudi, j’ai eu une très longue collaboration cinématographique, musicale aussi, car nous avons assez souvent joué ensemble. Et des répertoires qui ont été, bien entendu, le double
concerto de Bach, mais aussi des duos de Bartók, de la musique de chambre. Et il y avait la présence indispensable d’un être qui vous transportait dans un monde inattendu, toujours inattendu… Je ne sais pas ce qu’il y avait chez lui de plus extraordinairement
expressif, le musicien ou l’homme. Chez lui, ces deux dimensions sont indissociables. Je crois qu’il a marqué l’histoire du violon plus qu’aucun autre violoniste, avec peut-être Paganini. Mais je ne sais pas comment jouait Paganini… Yehudi, peut être du fait d’une imagination qui était chez lui toujours en éveil, changeait ses coups d’archet sans arrêt et ses doigtés. À la fin de sa vie, il était toujours à la recherche d’un phrasé qui soit toujours plus expressif, plus imaginatif.
Il a effectivement marqué l’histoire du violon de manière absolument fulgurante. Il demeurait avec cet esprit, en permanence, curieux. Il en était de même comme chef d’orchestre, j’ai passé des soirées, des nuits avec lui où il m’expliquait comment il concevait tel phrasé dans tel passage de la Cinquième Symphonie de Beethoven.

Comment l’avez-vous rencontré ?
Une fois l’enfance passée, je me souviens parfaitement du jour où je l’ai entendu en chair et en os pour la première fois, c’était le jour du lancement du spoutnik soviétique, le 4 octobre 1957… Et ce soir là, Yehudi jouait à la Salle Pleyel deux concertos de Bach et
le Concerto en la majeur de Mozart et, en bis, il a joué la Chaconne de Bach, tout simplement. Et là, je me souviens de chaque note. Et l’on s’est rencontré rapidement après, lorsque j’ai été admis dans sa master-classe à Dartington, en Angleterre. C’est avec
cette rencontre que tout a commencé… Une amitié vraie et, rapidement aussi, une collaboration dans le domaine des films.
Parmi eux, j’avais tourné en 1988, avec Menuhin, le Trio de Tchaïkovski que je voulais mettre en scène pour une seule caméra. On a filmé pendant un concert, le son, la répétition et une base d’images. Puis on a reconstitué en studio, à Moscou d’ailleurs, les éléments de décor indispensables comme le parquet, les éléments de murs. Les autres interprètes étaient Viktoria Postnikova et Marc Coppey qui était à l’époque un tout jeune violoncelliste. J’avais eu l’idée à ce moment là de lui donner une chance de jouer avec des partenaires avec lesquels il pourrait avoir une stimulation artistique. Parmi les choses tournées en Russie avec Menuhin, à l’occasion de son voyage dans une Union Soviétique proche de l’implosion, des tournages de grands concertos et de sonates, qu’il a joués
avec beaucoup d’émotion. Ce qui fait que les films réalisés là-bas prennent une dimension particulière, une beauté, qu’on ne peut pas trouver dans une simple captation. Mais vous avez raison de dire que des captations, je n’en fais que pour…

…Alimenter les films futurs…
Pour nourrir un film du point de vue musical, un film qui ne se fera pas forcément dans un futur immédiat, mais sera réalisé au bout peut-être d’une longue période. Alors revenons sur ces trois volets de Retour aux Sources, cette trilogie de Menuhin en Russie, dont nous programmons le volet médian… Pour moi, ce film est absolument essentiel car il a à voir directement avec mon attachement profond pour la Russie, un pays qui a été un objet de fascination depuis l’enfance, j’ai appris le russe, après tout sous l’influence de David Oïstrakh. Le russe est devenu une langue naturelle pour moi, du fait que je fréquentais
les musiciens, à une époque où il n’y avait qu’eux, très peu nombreux, qui pouvaient sortir du pays. ll n’y avait alors de Russes nulle part. À l’époque, la circulation entre la Russie et
le reste du monde était interrompue. Mais comme il y avait ces quelques musiciens, j’ai pu entretenir à la fois la langue et des relations personnelles avec ce pays étonnant. Et avec toujours cette impression lorsque je quittais la Russie, après des brefs séjours d’une durée en général d’une semaine, l’impression d’une libération, et cinq minutes plus tard, j’étais déjà nostalgique. Et, j’avais, par le fait d’y avoir joué et d’y avoir écouté quantité de
musiciens, un désir irrépressible de voir un jour Yehudi Menuhin rejouer à Moscou. De voir quelle serait sa relation avec le public, pour lequel il était une véritable légende. Comme il ne pouvait pas venir y jouer tous les ans, comme dans les pays occidentaux, sa légende était entretenue par l’absence.

Pourquoi a-t-il joué le jeu ? Pourquoi a-t-il accepté ?
Parce que lui-même y était allé à plusieurs reprises, pour commencer, en 1945. Il aurait pu y aller beaucoup plus tôt. Il y avait été invité la première fois en 1932. Et puis pour des raisons complexes, peut-être financières, le projet ne s’était pas réalisé. En 1945, il y a été de manière complètement gratuite. Et ce fut le premier artiste occidental à s’y produire après la fin de la guerre. À ce moment là il a rencontré Oïstrakh pour la première fois. Cette visite avait été pour lui une expérience très émouvante. Et je crois ’ailleurs que tous ceux qui ont un rapport avec ce public vivent cette même expérience, le public russe est le plus chaleureux et le plus généreux de la terre. Et donc il y avait un désir de Yehudi
d’y revenir. Ce qu’il a fait en 1962 avec sa soeur Hepzibah et, là encore, avec cette même expérience de rapport direct avec le public. Et puis il y était retourné en 1970. Cette fois là, il y avait donné bien évidemment un récital avec son fils Jeremy, mais il était venu en tant que Président du Conseil International de la Musique de l’Unesco.